- FERRO-ÉLECTRICITÉ
- FERRO-ÉLECTRICITÉLes corps ferro-électriques sont une classe de diélectriques solides, dont l’étude s’est développée depuis 1945. L’intérêt de ces matériaux n’est pas seulement théorique; leur très grande constante diélectrique, leurs propriétés non linéaires, tant électriques qu’optiques, sont exploitées dans de nombreuses applications (condensateurs, transducteurs, doubleurs de fréquences, etc.). Leurs propriétés générales se déduisent des propriétés électriques des atomes qui les constituent.Dans certaines molécules plus ou moins dissymétriques, les barycentres des charges positives et des charges négatives ne coïncident pas; il en résulte un moment électrique dipolaire, et ces molécules sont dites polaires. Lorsque ces corps ne sont pas soumis à un champ électrique, les moments élémentaires sont orientés de façon aléatoire et la polarisation macroscopique, somme vectorielle de tous les moments dipolaires élémentaires, est nulle.L’action d’un champ électrique extérieur tend à orienter tous les moments élémentaires des corps dits para-électriques dans le même sens et à créer ainsi une polarisation induite. Mais dans quelques édifices cristallins, les moments élémentaires s’ordonnent spontanément dans des directions déterminées par la structure cristalline et il apparaît, même en l’absence d’un champ appliqué, une polarisation spontanée. De tels corps sont appelés ferro-électriques par analogie avec les corps ferromagnétiques, pour lesquels ce sont les moments magnétiques élémentaires qui produisent une polarisation magnétique spontanée.Le sens de la polarisation électrique spontanée peut être inversé sous l’action d’un champ électrique convenablement choisi en direction, sens et grandeur; cette polarisation disparaît au-dessus d’une certaine température dite température de transition.De nombreux cristaux ioniques sont ferro-électriques: des phosphates et des arséniates, dont le plus typique et le plus étudié est le KDP (phosphate diacide de potassium); les titanates, niobates, tantalates, vanadates, parmi lesquels l’exemple classique est le titanate de baryum Ti3Ba; des sulfates (le GASH: sulfate hexahydraté d’aluminium et de guadinine), des aluns, des nitrates. Citons encore des composés comme les boracites, qui sont à la fois ferro-électriques et ferromagnétiques.Propriétés structuralesLes cristaux ferro-électriques n’ont pas de centre de symétrie; lorsqu’on élève leur température, le passage par la température de transition s’accompagne toujours d’une augmentation de symétrie; si le matériau acquiert une structure centrosymétrique, il devient para-électrique.Dans le cas du titanate de baryum (BaTiO3), seule la phase cubique au-dessus de 120 0C n’est pas ferro-électrique.Un monocristal, dans lequel toutes les mailles cristallines sont polarisées dans le même sens, est appelé monodomaine . En fait, un tel cristal ne peut exister que dans des cas exceptionnels de croissance cristalline parfaite, sans défauts ponctuels ni dislocations. Le plus souvent, il se forme un cristal polydomaine et on appelle mur de domaine la région très étroite du cristal qui sépare deux domaines nettement différenciés: ces murs sont dits à 1800 entre deux régions polarisées «tête-bêche» et à 900 entre deux régions polarisées à angle droit. Il est possible de visualiser ces domaines par des méthodes optiques et d’en faire ainsi l’étude.Propriétés électriquesLa polarisation spontanée はs des cristaux ferro-électriques varie avec la température et s’annule à la température de transition. Si la variation de はs est discontinue à chaque changement de phase, et en particulier pour le dernier, les transformations sont dites du premier ordre (fig. 1). Si cette variation est continue, même au voisinage de la température de transition, la transformation est dite du deuxième ordre (fig. 2).Sous l’action d’un champ électrique つ de même sens que はs , la polarisation は du matériau augmente. Elle diminue dans le cas contraire et peut même changer de signe. Une étude systématique de la polarisation sous champ électrique alternatif peut être faite à l’aide du montage de Sawyer et Tower et on obtient directement sur un oscillographe la courbe P = f (E). Les matériaux ferro-électriques sont caractérisés par un cycle d’hystérésis.La partie réelle de la constante diélectrique 﨎 d’un cristal ferro-électrique est très grande au voisinage de la température de transition; il en est de même de la partie imaginaire 﨎 , donc des pertes [cf. DIÉLECTRIQUES].Pour un cristal parfait monodomaine, on obtient une variation de 﨑 = 1/ 﨎, avec T qui est représentée sur la figure 3 (3a pour une transformation du premier ordre et 3b pour une transformation du deuxième ordre).Dans le domaine para-électrique, pour une température supérieure à la température de transition 0, 﨎 suit la loi expérimentale de Curie-Weiss: 﨎 = C/(T 漣 C), où C est la constante de Curie et C la température de Curie.Les variations de 﨎 avec la fréquence montrent une dispersion en basse fréquence (105 hertz), en haute fréquence (109 hertz) et dans le domaine infrarouge. Parallèlement, on observe un maximum de pertes dans ces trois régions. Celles-ci semblent liées respectivement aux mouvements des défauts, des murs de domaines et du réseau cristallin (mode mou ou ferro-électrique).Propriétés thermiques, mécaniques et propriétés coupléesLa détermination de la chaleur spécifique à pression constante Cp montre une anomalie au passage par le point de transition. La courbe représentative des variations de Cp avec T est une courbe dite en; l’aire comprise entre la courbe de variation continue de Cp et la courbe de variation en permet de calculer la variation d’entropie S accompagnant la transition ferro-électrique; on vérifie la relation:où C est la constante de Curie définie précédemment, P la discontinuité de polarisation à la transition. S est nul pour les transformations du deuxième ordre mais différent de zéro pour les transformations du premier ordre: par exemple S = 0,5 joule par mole et par 0C pour la transition quadratique-cubique de BaTi3 à 120 0C.Les compliances élastiques, qui mesurent les relations entre tenseurs de deuxième ordre des déplacements ou déformations des cristaux et forces ou contraintes auxquelles sont soumis ces cristaux, forment un tenseur d’ordre quatre, symétrique. Les vingt et une composantes indépendantes de ce tenseur se réduisent souvent à un nombre plus faible selon la symétrie cristalline du matériau. On constate que certaines de ces composantes subissent une anomalie au passage par le point de transition et suivent, à plus haute température, une loi de Curie-Weiss. On peut calculer les composantes anormales et les composantes normales de ce tenseur.Les propriétés principales étant les propriétés électriques, thermiques et mécaniques, on appelle propriétés couplées les relations entre propriétés de nature différente; elles sont caractérisées par des coefficients:– coefficients piézo-électriques liant grandeurs électriques et mécaniques;– coefficients pyro-électriques associant grandeurs électriques et thermiques;– coefficients de dilatation thermiques liant grandeurs mécaniques et thermiques.Ces coefficients, dont le nombre dépend de la symétrie du cristal, subissent parfois une anomalie au passage par le point de transition, ils suivent alors une loi de Curie-Weiss à plus haute température.Propriétés optiquesLes cristaux ferro-électriques, n’étant pas centrosymétriques, sont biréfringents. Leur biréfringence dépend beaucoup de la température et présente une anomalie en passant par la température de transition. Cette propriété permet de déceler optiquement l’hétérogénéité des températures.Les phénomènes de dispersion et d’absorption, lorsque la fréquence varie, sont liés, comme pour la constante diélectrique, à la polarisation du cristal. Seule la polarisation électronique est ici en cause. On constate néanmoins une anomalie au passage par la température de transition.L’ellipsoïde des indices du matériau ferro-électrique est modifié en présence d’un champ électrique つ ou d’un champ de contraintes extérieures 轢轢X, en raison de la non-linéarité de la caractéristique は = f (face="EU Arrow" つ) sans ou avec contrainte. Ces effets sont dits électro-optiques et piézo-optiques. Ils ne sont pas faciles à distinguer, car ces matériaux sont aussi piézo-électriques. Pour atteindre l’effet électro-optique seul, il faut «bloquer» le cristal, c’est-à-dire l’empêcher de se dilater quand on le soumet à un champ. La valeur du coefficient électro-optique dépend du champ continu appliqué (phénomène non linéaire) et subit aussi une forte anomalie à la température de transition.Théories de la ferro-électricitéLa théorie thermodynamique de Devonshire , dérivée de la théorie générale de Landau, explique, au moins qualitativement, l’essentiel des propriétés décrites ci-dessus. Pour cela on admet que l’état du matériau peut être défini par une fonction énergie libre F qui a la même expression dans les différentes phases ferro-électrique et para-électrique, et qui peut être développée en série de puissances de la polarisation.Par exemple, si l’on prend pour F une expression du type suivant:où B et C sont indépendants de la température, on peut rendre compte des propriétés des transitions du deuxième ordre (par exemple TGS): l’application des méthodes classiques de la thermodynamique permet de retrouver la loi de Curie, les variations de la permittivité et de la polarisation spontanée en fonction de la température. L’introduction de terme en P6 dans F permet de traiter le cas des transitions du premier ordre.La théorie des transitions ferro-électriques est maintenant englobée dans les théories générales des transitions de phases où la méthode du groupe de renormalisation permet de préciser les propriétés d’universalité et de criticalité.La théorie de Cochran est un modèle microscopique de la ferro-électricité qui suppose que certaines vibrations du réseau cristallin du mode optique (appelées mode ferro-électrique) se font à fréquence très basse, ce qui autorise un couplage avec les vibrations du mode acoustique et assure l’effet coopératif entre mailles polarisées voisines; celles-ci s’orientent alors toutes dans le même sens pour former un domaine ferro-électrique.D’autres théories permettent désormais de rendre compte non seulement de l’existence des phases ferro-électrique et para-électrique mais aussi d’une phase dite «incommensurable» qui apparaît entre les deux précédentes dans un certain nombre de matériaux (thiourée, Rb2ZnCl4, 2Na...).Applications des matériaux ferro-électriquesLa divergence qui apparaît au voisinage des transitions pour la plupart des coefficients électriques, optiques ou mécaniques des ferro-électriques permet d’espérer l’obtention de bonnes performances dans de nombreuses applications. Toutefois, la première difficulté rencontrée est celle de la dimension des monocristaux disponibles: la croissance de gros cristaux est malaisée, voire impossible, sauf pour les matériaux du type phosphates ou sulfates. Pour les autres matériaux du type oxydes (titanates, niobates, etc.) on préfère utiliser des céramiques dont la préparation, plus facile et moins coûteuse, peut être développée par des méthodes industrielles à grand débit. Un autre avantage des céramiques est la possibilité de réaliser facilement des mélanges ou des dopages, donc d’ajuster plus facilement la valeur des paramètres utilisés et d’optimiser le rendement des composants fabriqués.Dans la suite, les applications sont classées suivant la propriété physique utilisée.Propriétés diélectriquesLa très forte valeur ( 﨎r 黎 10 000) de la permittivité des titanates, zirconates, tantalates a été très largement mise à profit pour la réalisation des condensateurs dits «céramiques», dont la composition et le dopage peuvent être ajustés à la demande pour obtenir les capacités et les pertes désirées en fonction de la température d’emploi.Propriétés pyro-électriquesL’apparition d’un courant dans le circuit extérieur d’un condensateur à matériau ferro-électrique quand sa température varie (i = d Ps /d T) peut être exploité de la façon suivante: si un rayonnement infrarouge est absorbé par le matériau, la température de celui-ci augmente et le courant apparaît: c’est un détecteur infrarouge . Le dispositif est sensible aux variations de température plutôt qu’à la température elle-même, ce qui place son domaine d’application vers les hautes fréquences. Les matériaux utilisés sont entre autres le TGS (sulfate de glycocolle), LiTaO3 et (SrBa)Nb26. Des tentatives ont été faites pour transformer ces détecteurs en tube-image infrarouge du type vidicon en utilisant des cibles en TGS.Propriétés piézo-électriquesIl s’agit de deux effets réciproques: l’application d’une contrainte provoque l’apparition d’une polarisation ou l’application d’un champ électrique provoque l’apparition d’une déformation. Cela conduit à la réalisation de capteurs ou de transducteurs parmi lesquels il faut citer: les têtes de lecture de disques, les écouteurs, les accéléromètres, les transducteurs miniatures pour la mesure locale d’efforts ou de déformations, les générateurs et les détecteurs d’ultrasons pour applications sous-marines, les lignes à retard utilisées par exemple en télévision, les filtres électriques ne nécessitant pas une largeur de bande très étroite, les générateurs de haute tension sous haute impédance (allumeurs). Les matériaux les plus utilisés pour ces applications sont des céramiques de titanozirconate de plomb convenablement dopées.Propriétés optiques et photoferro-électriquesBien que les propriétés optiques des ferro-électriques n’aient rien de remarquable en soi elles sont très utilisées car il est facile de les modifier par application d’un champ électrique (électro-optiques) ou par éclairement (photoferro-électriques). Les utilisations possibles sont des mémoires , des écrans de visualisation , des modulateurs .Pour les mémoires, l’inscription se fait par rotation ou renversement de la polarisation spontanée par un champ électrique ou par éclairement. La lecture se fait généralement par des méthodes optiques. On peut par exemple faire des valves optiques dont la transparence peut être modulée par un champ électrique en utilisant des monocristaux de Bi4Ti312, ou de Gd2(MoO4)3. Les mêmes applications peuvent être obtenues avec des céramiques transparentes de PLZT (titanozirconate de plomb dopé au lanthane) dont les grandes dimensions permettent la réalisation de matrices à deux dimensions et de panneaux d’affichage. L’aspect purement mémoire a été encore développé dans un autre sens: en formant un hologramme dans un matériau ferro-électrique (LiNbO3 ou BaTi3(Fe), par exemple) on peut le fixer et s’en servir par la suite pour restituer l’information. Il est possible ainsi d’obtenir l’inscription simultanée de plusieurs hologrammes, ce qui augmente la capacité de la mémoire.Les modulateurs sont basés sur les variations d’indice ou de biréfringence des ferro-électriques provoquées par un champ électrique: il est alors possible, à partir d’un signal électrique, de moduler l’intensité d’un faisceau lumineux traversant le cristal avant de la transmettre sur une fibre optique par exemple. Il est possible aussi de réaliser la modulation directement sur les guides d’onde optiques.Le développement d’une technologie récente liée à la forte valeur des coefficients électro-optiques de certains monocristaux ferro-électriques (BaTiO3) permet la fabrication de miroirs à conjugaison de phase à grand gain utilisés de façons diverses en optiques (capteurs...).
Encyclopédie Universelle. 2012.